HISTORIQUE DE L'ENCLOS DU PORT

http://www.lorient.fr/Historique_de_l_Enclos.2121.0.html

Soleil d'Orient - image Musée de la Compagnie des Indes

Soleil d'Orient - image Musée de la Compagnie des Indes

1666, l’installation de la compagnie des Indes orientales

A la fin du 16e siècle, l’unité vient de la mer. De ces monarchies qui déchirent l’espace européen, mais assujettissent leurs provinces à la puissance des royaumes et aux impératifs de la défense aux frontières. L’initiative est espagnole. En 1590, deux ans après le désastre de l’Invincible armada, les 10000 soldats de don Juan del Aquila débarquent à Blavet pour huit ans. La citadelle qu’ils y ancrent ampute l’horizon de l’arête tranchante de ses bastions.

Tierce escale parmi tous ces havres qui frangent les côtes européennes d’un ourlet ininterrompu, Blavet change de nom, devient en 1618 Port-Louis, le port du roi. L’investissement économique suit l ‘aménagement militaire. En 1666, la rade est choisie pour héberger le port de la Compagnie des Indes orientales, qui reçoit le monopole des échanges commerciaux avec l’Asie et l’Océan Indien.

L’implantation des installations portuaires, se fait au fond de la rade sur la presqu’île du Faouédic, à l’embouchure du Scorff, là où le chenal accepte les plus gros navires et où la solidité et la pente du terrain permettent d’établir au mieux la cale de construction du Soleil d’Orient, le premier vaisseau réalisé dans ces chantiers.

 

Les premiers habitants du port de la Compagnie et de la Marine au 17e siècle

Entre la cale et la rade, la frange sud de la presqu’île reste d’abord sous-employée. La "montagne" du Faouédic protège les chantiers des vents dominants. En 1677, elle accueille le moulin de la boulangerie de la Compagnie. Le littoral reste à l’écart n’accueille qu’une poudrière en 1683. L’aménagement décolle en 1688. Jean le Mayer, envoyé de Brest prendre la direction du port de la Compagnie pour le compte de la Marine royale, construit sa maison sur la butte, imité par beaucoup d’autres employés, ouvriers ou marins.

Lorsqu’en 1719 la Compagnie perpétuelle des Indes, qui réunit les Compagnies occidentale et orientale des Indes sous la houlette du banquier Law, expulse la Marine, c’est tout un village qui est en place. Mais à deux ou trois exceptions près, les 200 maisons existantes ne sont que de dangereux taudis.

Un second moulin, une glacière complète ce premier quartier de Lorient. De l’autre côté du mur de clôture dressé dès 1676, expulsé de l’enclos pour raisons de sécurité, un faubourg dortoir ronge la lande, au service exclusif des autorités et des travailleurs d’un chantier de construction navale et d’un port d’armement et d’hivernage encore bien balbutiant.

Un des 2 moulins de l'Enclos

Un des 2 moulins de l'Enclos

Un des 2 pavillons Gabriel

Un des 2 pavillons Gabriel

Le coffre fort des marchandises des Indes

La métamorphose date de 1731, lorsque le contrôleur général Orry ordonne de regrouper à Lorient toutes les activités de la Compagnie des Indes. Dans l’enclos, la construction et la réparation des vaisseaux tournent à plein. Chaque année de véritables escadres rapportent sur les bords du Scorff les stimulants d’Indes, de Chine, d’Arabie, d’Ile-de-France ou de Bourbon, du Sénégal et de Louisiane qui colorent la vie et les plaisirs d’un siècle des Lumières en pleine effervescence. A partir de 1734, c’est à Lorient que l’on vient acheter pendant les 15 premiers jours du mois d’octobre, les mousselines, indiennes, cotonnades et soieries qui font la mode ; le poivre, le café et le thé qui la parfument ; la porcelaine qui la décore.  

Dortoir champignon, le port s’offre à l’urbanisme. Jacques Gabriel, premier ingénieur des ponts et chaussées, dompte les rives du Scorff. Face aux pontons où s’amarrent les vaisseaux de retour, il élève les magasins des ventes où se stockent et se vendent les marchandises du monde entier. De part et d’autre de l’entrée principale, quatre arcades s’ouvrent en péristyle sur cet horizon planétaire.

Le dessein de Jacques Gabriel

De 1733 à 1750, menée par Saint-Pierre et Guillois, l’équipe de Jacques V Gabriel, premier architecte du roi, inscrit dans la pierre la gloire de la Compagnie. Rien ne manque : réseau des fontaines pour l’adduction d’eau, pavage et plantation des nouveaux alignements, façades harmonieuses des magasins, s’inscrivent méthodiquement dans la cohérence globale d’un projet rationnel qui, centré sur le port, déborde sur la ville.

Les taudis sont rasés. La place d’armes, où manœuvre la troupe, met en valeur les nouveaux pavillons des ventes, construits de 1740 à 1742. La tour de la Découverte, plusieurs fois reconstruite de 1737 à 1787, domine l’ensemble. De son sommet, le veilleur scrute la mer, de Belle Ile aux Glénan. Dès 1744, il signale les escadres anglaises qui sapent le triomphe commercial de leur concurrent français. Finis les bénéfices, la fin du siècle se pare d’inachevé.

Place d'Armes prise depuis la Tour de la Découverte - image AML - fonds Crolard

Place d'Armes prise depuis la Tour de la Découverte - image AML - fonds Crolard

Navire dans un bassin de radoub

Navire dans un bassin de radoub

La ville dans la ville

A partir de 1794, plus aucun navire de commerce ne revient d’Asie. L’Inde est anglaise, la mer aussi. Avec la privatisation et le libéralisme, plus de rempart contre la concurrence de ports mieux placés, alors que la révolution industrielle se met à fabriquer en Europe les produits qui transitaient auparavant par la rade. 

En 1820, le port et la ville divorcent, faute d’entrepreneurs. La Marine reste seule usagère d’un port jusqu’alors accessible à tous les acteurs locaux. Pendant qu’elle conduit la saga industrielle de la construction navale dans la partie Nord de l’arsenal et sur la rive gauche du Scorff, elle loge ses hommes au Sud, dans l’ancienne zone commerciale. 

Vient le temps des casernes et des autorités. Les magasins des Indes et les pontons se muent en chambrées. On y enferme par milliers, les anonymes artisans de l’expansion maritime et coloniale de la France, artilleurs de Marine, apprentis canonniers, ouvriers d’artillerie, bagnards…  Les fusillés marins à partir de 1856, les apprentis mécaniciens en 1900, acquièrent à la dure les savoirs élémentaires et les compétences spécialisées qui feront d’eux les servants vigoureux d’un nationalisme exacerbé.

La troisième république leur doit ses pages de gloire, sous les tropiques comme au cœur des hécatombes de la première guerre mondiale. Lorsqu’en 1917, en pleine guerre sous-marine, le président de la République et le ministre de la Marine se déplacent jusqu’au Quai du Péristyle pour décorer les marins du Kléber, ils ont leurs appartements officiels à la Préfecture maritime, l’hôtel Gabriel qui offre jusqu’à la seconde guerre mondiale ses grilles et sa place aux parades des militaires et aux promenades dominicales des familles du vieux Lorient.

La seconde guerre mondiale et la reconstruction

Le 21 juin 1940, sous les noires volutes de la débâcle, ce monde s’effondre dans le piétinement pitoyable de centaines de militaires parqués sur la place d’armes en attente de captivité. Prise de guerre, le port de Lorient offre au IIIème Reich un lieu d’escale et de réparation inespéré pour mener des opérations navales. Pour les Allemands, qui asservissent toute la région à cette fin, comme pour les aviateurs alliés qui les bombardent dès septembre 1940, l’arsenal et la ville ne font qu’un.

L’amiral Dönitz, chef des sous-mariniers allemands, fait du péristyle, à l’arrivée et au départ de ses as, un intense théâtre de propagande célébrant leurs exploits sur tous les océans. A la libération le 10 mai 1945, les murs noircis du Péristyle, des Pavillons Gabriel et de tous les édifices du port dressent vers le ciel des arcades aveugles. 

La renaissance du port est une épopée d’énergie, de débrouillardise, de vitalité et de savoir-faire. Sur l’emplacement méthodiquement déblayé du Péristyle sont construits de 1951 à 1956 les bâtiments modernes, salubres et fonctionnels destinés à héberger les équipages des escorteurs en armement dans l’arsenal, le foyer et le bloc alimentaire et les locaux de la direction du port, de l’infirmerie, du centre administratif et de la compagnie de protection. L’ensemble reprend la disposition des anciens magasins dont il ne reste plus, pour en repérer l’emplacement, que les deux blockaus construits dans la cour par les Allemands.

Face aux impératifs du réel, la dynamique est publique et militaire, comme le montre le sauvetage de ce symbole majeur que sont les pavillons Gabriel. A prix de 5 ans de travaux qu’elle finance avec les monuments historiques, la Marine s’y réinstalle officiellement en 1959.



Le temps de la Marine

Les noces de la guerre froide et des Trente Glorieuses, les retours d’unités consécutifs à la décolonisation donnent au Lorient de la seconde moitié du 20ème siècle une importance sans précédent. Les sous-marins, l’aéronautique navale, les forces amphibies, suivis depuis l’abri 12 creusé entre les pavillons Gabriel, sont épaulés par d’importants moyens nautiques et terrestres de contrôle de la façade atlantique. Le péristyle est au cœur de cette vie opérationnelle. ses pontons accueillent les navires en escale et la drome conséquente qui permet l’exploitation du plan d’eau militaire de la rade, de Groix jusqu’aux pyrotechnies de Sach Quéven et du Mentec. 

Tous les services de surveillance, d’entretien et de sécurité y travaillent sous les ordres du major général, logé dans l’ancienne maison Le Mayer. Leur zone d’action déborde largement les limites de l’arsenal au contact d’une économie maritime en pleine expansion. Que ce soit la construction navale civile et militaire, l’exploitation des pêches et l’explosion de l’agroalimentaire breton, les ports et la ville vivent en parallèle une période exceptionnelle, souvent tumultueuse, mais cimentée au jour le jour dans la solidarité du faire et du faire sans. 

Dans les années 1990, tous ces secteurs doivent affronter les profondes mutations qu’impose l’évolution mondiale de leurs activités. La Marine abandonne une maîtrise globale de l’espace et du temps devenue par trop dispendieuse. Après la base de sous-marins de Keroman en 1993, la rive droite se vide, en attente d’avenir.  

 

 

Depuis l’abandon des installations de la rive droite de l’arsenal du Scorff par la Marine nationale le 30 juin 2000, en application des mesures de restructuration de la Défense, le sort de la zone du Péristyle est au cœur de l’aménagement de l’agglomération de Lorient.  

Les choix qui seront faits engageront l’avenir pour plusieurs décennies. Ils témoigneront des valeurs de la société du début du XXI° siècle, de ses capacités propres comme de sa conception dominante du littoral et de la mer.  

 

Textes de René Estienne, conservateur général du patrimoine, service historique de la Défense, département de la Marine à Lorient, avec la participation de Dominique Richard, architecte

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :