Notre beau pays réduit au mimétisme

Publié le par Mag M de G

Shoes tossing, alcoolisation et hurlements

Depuis quelques années se développe en France, principalement à Rennes et à Nantes, la pratique du Shoes tossing, autrement dit lelancer de chaussures. But de l’opération : réussir, en les reliant par les lacets, à accrocher tennis, baskets ou espadrilles à des grillages, des lampadaires ou des fils électriques et téléphoniques. À l’origine de cette mode, principalement des étudiants éméchés dont les beuveries compulsives et immodérées s’accompagnent également de hurlements dans la nuit bretonne. Quant la teuf devient nuisance...

Parti des États-Unis, le Shoes tossing (également appelé Shoefiti) a maintenant gagné le Canada, le Mexique, l’Amérique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la majeure partie des pays d’Europe, de la péninsule ibérique à la Scandinavie. Dans le ciel des rues de certaines villes, mais également sur des arbres ou des clôtures dans les campagnes, ce sont des dizaines de baskets ou de tennis qui s’agitent au gré des courants d’air en une sorte d’installation publique d’un intérêt artistique des plus discutables.

L’art a-t-il d’ailleurs quelque chose à voir dans cette étonnante mode ? Pas sûr si l’on en croit les bruits qui courent sur l’origine de ce phénomène. Certains évoquent la guerre des gangs qui sévit dans de nombreuses villes américaines, les chaussures faisant office de marqueur d’entrée dans un territoire. D’autres prétendent qu’elles servent d’enseigne pour les zones de deal du crack ou de la coke. Le Shoes tossing serait également pratiqué pour marquer la fin d’une année universitaire, voire pour fêter la perte d’un… pucelage ! Il se trouve même d’anciens Marines pour affirmer que tout cela relève de l’affabulation car le Shoefiti remonterait aux années 80, la tradition voulant dans certaines Unités que, l’engagement terminé, la paire de rangers soit expédiée ainsi dans les fils électriques pour symboliser le retour à la vie civile. Bref, on dit tout et n’importe quoi, et bien malin celui ou celle qui pourrait prétendre connaître à coup sûr l’origine de cette pratique. 

Une pratique qui semble toutefois marquer le pas (un comble pour une affaire de chaussures !) depuis quelques mois, sans que l’on puisse affirmer pour autant qu’elle a subi un sérieux coup de pompe. Peut-être les adeptes du Shoes tossing manquent-ils de munitions ? À moins qu’ils ne soient découragés par le zèle des employés municipaux qui, avec une réactivité accrue, s’efforcent désormais d’effacer le plus rapidement possible du ciel urbain de nos villes ces trophées d’un genre particulier qui font, il est vrai, quelque peu tache dans les quartiers historiques.

Rire, chanter, boire et pisser

Si le phénomène du Shoes tossing semble quelque peu s’essouffler, il n’en va pas de même des beuveries du jeudi soir, institutionnalisées depuis des années dans les milieux estudiantins et qui ont parfois donné lieu à de graves débordements. Qui n’a pas vu la place et la rue Saint-Michel à Rennes au cœur de la nuit n’a rien vu en matière d’alcoolisation des jeunes, sauf peut-être à fréquenter le samedi soir les quais deNyhavn à Copenhague. Surnommée « rue de la Soif », la rue Saint-Michel, si jolie avec ses maisons médiévales colorées à pans de bois, est une succession de bistrots dont les terrasses plutôt sommaires envahissent le pavement à l’ancienne d’une chaussée entièrement réservée aux piétons.

Très peu de têtes chenues parmi les consommateurs, presqu’uniquement des jeunes venus des résidences universitaires ou des chambres meublées qu’ils louent ici ou là en ville : des jeunes ici, des jeunes là, des jeunes partout, riant, parlant fort, chantant parfois, heureux d’être ensemble et de s’éclater en alignant les demis, souvent allongés d’une vodka ou d’un gin préalablement achetés dans l’une des supérettes du quartier. Quand ils n’ingurgitent pas de redoutables mix de leur composition. Une alcoolisation qui, pour certains, relève à l’évidence du redoutable Binge drinking importé de Grande-Bretagne ou de Scandinavie.

Plus de place dans les bars ou aux terrasses ? Pas grave, on s’installe à même le pavé et l’on vide là aussi packs de bière, bouteilles de vodka et autres cocktails explosifs. Puis l’on pisse et l’on reboit. Après quoi, la démarche parfois chancelante, l’on repisse encore, principalement dans l’impasse qui s’ouvre sur un côté de la rue et dont le pavé se charge, au fil des heures, d’écoulements douteux, mélange d’urine et de bière renversée, sans compter quelques flaques de vomissures. Bref, la fête bat son plein !

À 1 heure du matin, les bars ferment, comme le veut le règlement municipal, appliqué drastiquement dans la métropole bretonne depuis quelques années, et tout le monde se disperse lentement dans la ville d’un pas parfois mal assuré. Un exploit pour certains, telles ces deux filles ivres rencontrées un jour affalées sur le pavé malodorant de la rue de la Soif, au risque de se blesser sur des tessons de verre, et prises en charge par des camarades compatissants un peu moins imbibés qu’elles. Ou bien décidés à tirer parti de la situation… Ainsi va la fête !

Bacchanales rennaises

Pour les riverains également, c’est la fête : celle des oreilles agressées par les chants à tue-tête, les hurlements dans la nuit, et parfois les rixes qui éclatent, ou les heurts avec les forces de l’ordre. Encore que sur ce plan-là, les choses se soient nettement arrangées depuis 2006 : oubliées les batailles rangées avec les flics, oublié le vandalisme gratuit, oubliés les ballets d’ambulance qui chargeaient les blessés et les comateux éthyliques, oubliées les scènes orgiaques qu’évoquait Bernadette Malgorn, la préfète de Région surnommée « La Mère Fouettard », lorsqu’elle dénonçait à la presse ces gens qui déféquaient ou s’accouplaient à même la rue ! Relativement à ces temps heureusement révolus, on pourrait presque parler de situation calme. Et de fait, les cris, les rires sonores et les engueulades avinées s’estompent progressivement, les heures passant. Pas question toutefois d’espérer bénéficier pour les riverains d’une nuit paisible, et ils s’estimeront heureux s’ils arrivent à grapiller quelques heures de sommeil entre les passages des différentes hordes néo-barbares sympathiques et débraillées qui déferlent chaque jeudi soir sur le centre-ville.

Mais c’est la fête, que diable, et il faut bien que jeunesse se passe ! D’ailleurs, ils sont si gentils ces étudiants – plus de 60 000 à Rennes –, si chaleureux et si sérieux dans leurs études pour la plupart d’entre eux. Que demander de plus ? Et puis les statistiques sont là : si la Bretagne est championne de France en matière d’alcoolisation des jeunes, championne de France également de la consommation de stupéfiants, et largement en tête des palmarès nationaux en matière de teufs géantes et de festivals en tous genres*, l’Académie de Rennes enregistre également les meilleurs taux de réussite scolaire et universitaire, et ce n’est pas là le moindre de ses paradoxes.

Moralité : jeunes filles, jeunes hommes, buvez de l’alcool sans retenue, fumez des pétards ou sniffez des lignes de coke, et ainsi conditionnés faites la teuf à donf, c’est à l’évidence la meilleure garantie de réussite ! Bel exemple de sophisme auquel on se gardera bien d’accorder le moindre crédit. Mais de cela tous les lecteurs d’AgoraVox sont évidemment convaincus ! 

* Il existe un nombre considérable de Festivals culturels en Bretagne, et pas seulement en été. À cet égard, l’offre rennaise est impressionnante avec les Trans Musicales (doublées en off par les concerts deBars en Trans), les Tombées de la NuitRock’n SolexMythos ou le Grand Soufflet  !

Publié dans La FRANCE

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